Pour ce nouvel épisode, j’ai le plaisir d’échanger avec Kazu Tanaka, Chef du restaurant deux étoiles Racine.
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Dans cet épisode, Kazu partage avec nous sur :
- Son parcours auprès de grands Chefs de la gastronomie française
- Le besoin d’excellence lorsqu’il était au Japon
- Ce qu’il a du sacrifier pour réaliser son rêve
- Comment il s’est retrouvé dans la rue avant de venir en France
- Sa philosophie lorsqu’il cuisine pour ses clients
- Ses futurs projets et ses rêves d’une troisième étoile
- Sa routine pour rester au top
- Et pleins d’autres sujets…
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L'INTERVIEW DE KAZU TANAKA - RESTAURANT RACINE
Geoffrey : Bonjour Kazu, merci de m’accueillir dans votre restaurant Racine. Est-ce que vous pourriez dire à celles et ceux qui ne vous connaissent pas, qui vous êtes, ce que vous faites et d’où vous venez ?
Kazu : Je suis Chef du restaurant Racine à Reims. Je suis né à Fukuoka, sur de l’île de Kyushu, au Sud du Japon. Ma cuisine en un mot : Instant. Je cuisine tout le temps ce que je sens.
Geoffrey : Tu arrives en France en 2006 sans parler le français, sans argent et quelques bagages. Quel était ton plan à l’époque ?
Kazu : Je suis venu avec un sac. Dedans, il y avait : deux caleçons, deux boîtes de conserve, deux paires de chaussettes, une veste de cuisine, un pantalon, un guide Michelin 2001. Juste ça.
Geoffrey : Et c’était quoi ton plan en arrivant en France ? « Je viens avec mon baluchon et je vais voir les Chefs ».
Kazu : Venir en France était plus compliqué que prévu. Une dame m’aidait pour venir en France mais les démarches étaient plus longues prévues. Je devais attendre et c’était impossible pour moi.
Donc, j’ai prévenu mon contact que je devais partir maintenant en France. J’ai préparé le billet d’avion, ma valise, j’ai quitté mon appartement de Tokyo avant de dormir dans la rue pendant 2-3 jours.
La dame japonaise m’a demandé « Mais, vous allez où ? ». À l’époque, j’avais envie d’aller à Bordeaux au Château Cordeillan Bages, chez Thierry Marx. La dame m’a demandé « Mais, vous allez faire comment ? ». J’ai répondu : « Je vais y aller. Je vais m’asseoir devant le restaurant et je vais attendre qu’il me dise que l’on peut commencer à travailler ». Elle était un peu paniquée [rire]. Mais j’ai quand même acheté le billet d’avion.
Geoffrey : Comment se sont passées tes années de formation auprès des grands Chefs tels que Gilles Tournadre, Emmanuel Renault, David Zuddas et Jacques Marcon ?
Kazu : J’ai débuté ma formation grâce à FFCC. Pendant un an, j’étais étudiant en France avec le visa Stage pendant un an. Sur une année, je suis allé chez Emmanuel Renault, après chez Gilles Tournadre et David Zuddas. À la fin, j’ai demandé à David Zuddas si je pouvais rester en France.
Mon but c’était de continuer à travailler en France. Les démarches pour qu’un étranger viennent travailler officiellement en France sont très compliquées. Le Chef Zuddas ne savait pas du tout comment faire le visa de travail. Mais il m’a quand même aidé à monter le dossier.
Le 31 août, le dernier jour de mon Visa Stage, il a fait la demande à la Préfecture. À l’époque, j’étais déjà avec ma femme Marine et le Chef Zuddas m’a dit « Kazu, il faut que tu rentres au Japon. Tu restes un peu là-bas et tu attends ». Il est impossible de travailler sans le Visa.
À l’époque, ma femme payait tout [rire]. Tous les jours, je faisais la cuisine dans son appartement. Le niveau d’électricité est bien monté. J’ai acheté des bouquins pour travailler ma cuisine.
Geoffrey : Justement, c’était quoi ta mentalité à l’époque ? C’est hyper long d’attendre, tu es dans l’incertitude. Tu as géré comment toute cette attente ?
Kazu : Tous les jours, je regardais des livres de cuisine, j’essayais des choses… Et le reste du temps, je faisais le ménage pendant que Marine travaille dans un restaurant : la vaisselle, les machines de vêtements, les courses, les repas pour ma femme.
Geoffrey : Philippe Mille nous expliquait dans le podcast que certains chefs avaient été durs avec lui. Est-ce que toi aussi tu as connu des moments très durs avec les chefs dans ta formation ?
Kazu : Avant d’arriver en France, j’ai travaillé dans un hôtel en tant que commis. Mon obsession était de savoir combien de temps il me faudrait travailler pour venir en France. Tokyo est une grande ville avec beaucoup de grands Chefs.
J’ai pensé que des Chefs Japonais connaîtraient des Chefs Français. À l’époque, j’avais 25 ans et je cherchais un certain niveau de difficulté. Le deuxième restaurant où j’ai travaillé était plus dur… J’ai appris beaucoup de choses mais c’était difficile car tous les matins, je disais au Chef « Bonjour Chef, ça va ? ».
Et tous les jours, il me disait « Pourquoi t’es là ? Pourquoi tu travailles encore ? Tu peux arrêter maintenant. Tu peux abandonner. Ça sert à rien de continuer ». Et si je ratais quelque chose, il n’y avait pas de deuxième chance…
Tous les week-end, je partais à Tokyo chez le poissonnier ou le boucher pour étudier les pièces de viande, de poisson. Tous les week-ends, j’allais chez le poissonnier pour apprendre à lever le poisson.
Une fois, j’ai demandé au Chef « J’aimerai bien lever un poisson ». Et il a dit « Oui, mais si tu rates, c’est terminé ». Il n’y a pas de deuxième chance.
Geoffrey : Et c’est typique au Japon cette mentalité d’excellence ?
Kazu : Quand j’ai commencé, oui. Mais plus maintenant. Si je ratais quelque chose, le Chef me frappait. Pourtant, j’avais besoin de ce niveau de difficulté. Je ne disais jamais non au Chef. Et si je répondais « oui », il n’y avait plus d’excuses. J’ai grandi comme ça. Toujours dans la difficulté.
Presque tous les jours, je me regardais dans le miroir en me disant : « P****, pourquoi je n’y arrive pas ! Je ne comprend pas ». Le Chef faisait exprès de donner beaucoup de mise en place.
Parfois, il y avait 40 à 50 couverts et j’étais tout seul… Plusieurs fois le Chef m’a regardé sans jamais m’aider. Il me regardait et rigolait parce que j’étais dans le jus [rire]. C’était souvent comme ça.
Geoffrey : Ça t’a aidé pour la suite dans ton métier ?
Kazu : Oui, beaucoup. De toute façon, moi j’ai toujours cherché la difficulté. Le Chef me frappe, il gueule tout le temps, tous les jours je suis dans la m****. Il y a beaucoup de mise en place et tous les jours, je n’y arrive pas.
L’autre commis touche ce que je fais et le Chef lui dit d’arrêter. Et je ne comprends pas. Pour moi, le Chef ne m’aimait pas. Tous les jours, il était extrêmement dur avec moi « Pourquoi tu es là ? Tu peux partir ». Je ne comprenais pas.
Et il y avait des seconds de cuisine ou l’autre Chef de parti qui me disait « Je suis jaloux. Pourquoi tu es tout le temps avec le Chef ?! ». Mais à l’époque, je ne l’avais pas compris.
Geoffrey : Et en France, ça s’est passé de la même façon où ça été différent ?
Kazu, Non, ça a été différent. Après j’ai changé de restaurant. J’ai cherché encore plus de difficultés. Le Chef le plus dur. Pour moi, il me fallait aller encore plus loin.
Mes recherches se sont focalisées à Fukuoka sur le plus grand restaurant. Mais le niveau n’était pas assez difficile. C’est là que je me suis dit qu’il fallait que je parte en France.
Finalement, je suis passé par cette dame pour venir mais il fallait payer 10 000 euros. Je ne n’avais plus qu’une chose en tête. Réunir cette somme pour venir en France. Pendant un an, j’ai calculé combien il me fallait gagner d’argent. J’ai cherché un deuxième travail dans un autre restaurant gastronomique. Je faisais des journées non-stop du matin au soir. Ça m’a permis d’économiser beaucoup d’argent. À l’époque, je touchais 1 300 € de salaire pour le premier restaurant et 1 700 € dans le second. Sur les 3 000 €, j’économisais 2 300 € par mois.
Pour y arriver, j’ai limité toutes mes dépenses.. Tous les matins, je prenais une douche dans l’évier du restaurant. Dans mon casier, il y avait des shampoings, du gel douche [rire] des caleçons… En plus, j’avais arrêté l’électricité et le gaz. Une fois rentré à maison, il n’y avait que de l’eau froide. Mais c’était le temps d’une année pour économiser de l’argent.
Geoffrey : Tu étais déterminé à venir en France ?
Kazu : C’est ça. Et J’avais besoin d’argent. À la fin, je voulais économiser encore plus. J’ai fini par quitter mon appartement et j’ai dormi dans la rue, dans les gares ou les parkings avec toutes mes valises, mes bouquins… Pendant la journée, tout était stocké dans le restaurant.
Geoffrey : Personne ne le savait au restaurant ?
Kazu : Non. De toute façon, c’est interdit. Mais ça me permettait de mettre encore plus de côté. J’ai payé pour venir et j’ai laissé le reste des économies au Japon. J’ai juste pris 500 €. Tout le reste de l’argent est resté au Japon. J’avais tellement fait d’efforts que je ne pouvais me résoudre à le dépenser.
Geoffrey : On arrive en 2015. Tu ouvres Racine. Qu’est-ce que tu souhaitais offrir aux gens dans ta cuisine ?
Kazu : Simplement faire quelque chose de sympa. Quelque chose avec de l’émotion dans la cuisine. Ce n’était pas le même prix, ni la même qualité qu’à l’époque. On n’avait pas beaucoup d’argent. Mais avec le maximum de technique pour que les gens ne sentent pas qu’il y a des qualités moyennes.
Geoffrey : Et comment s’est passé ton premier service ?
Kazu : C’était un peu compliqué. À l’époque, nous étions deux en cuisine et ma femme seule en salle. J’étais un peu dans le jus [rire]. Je me souviens d’une réservation pour trois personnes.
Ma femme a pris les commandes et je suis allé au sous sol chercher les produits. À ce moment là, il y a de l’émotion qui arrive. C’est la première commande du restaurant et ça fait longtemps que j’attends d’ouvrir le restaurant.
J’étais super content car les trois clientes avaient pris le menu à 29 € avec entrée-plat. Elles avaient passé un super moment qu’elles ont pris le dessert. Avec « entrée-plat-dessert », je suis passé de 29 € à 39 €. C’est bien, j’avais gagné 10 € [rire]. C’était ça la première commande. Je n’oublierais jamais parce que c’était vraiment compliqué. De toute façon, il n’y avait pas le choix et il fallait avancer quoi.
Geoffrey : Qu’est-ce que tu attends de tes partenaires, de tes producteurs avec qui tu travailles ?
Kazu : Je cherche de beaux produits. À chaque fois, je goûte. et ça passe ou ça ne passe pas. Tout simplement. Par rapport à mon menu, je réfléchis à ce que l’on peut utiliser et ce que l’on ne peut pas. Il faut une saveur, un niveau de texture, un niveau de goût, un aspect visuel…
Geoffrey : Dans ton livre « Racine, un japonais à Reims », tu donnes plus de 80 recettes avec huit vignerons que tu as sélectionné. Comment est-ce que tu t’es formé au vin et principalement au Champagne ? Comment tu as développé ton palais et qu’est-ce que tu attends d’un Champagne ?
Kazu : Je pense qu’au niveau du champagne… Déjà, quand j’étais au Japon, j’aimais déjà le champagne. La première chose entre la cuisine et un vigneron de Champagne, c’est le sentiment. Juste simplement… Moi, c’est toujours.. J’ai visité plusieurs vignerons.
Ce qui me touche, ce sont toujours les sentiments. Parce que c’est important comment il est, comment il sent, comment il parle, comment il me regarde aussi. C’est pas dans la technique, c’est les sentiments. la cuisine aussi c’est la même chose en fait. Donc…
Par rapport à ma cuisine, je la fais avec les sentiments. S’il n’y a pas de sentiments, pour une même recette, c’est sûr que ce n’est pas la même chose. Pour faire les recettes, ce n’est pas la même chose, ce n’est pas le même résultat. Pour le champagne, c’est la même chose en fait. Quand je fais le menu avec un champagne, c’est toujours imaginer qui fait le champagne, parce que pour moi, c’est important.
Geoffrey : Tu disais « J’aime boire des sentiments, ressentir une histoire ».
Kazu : Exactement. Ressentir une histoire et découvrir le vigneron en allant chez lui, sentir les odeurs de la maison. Cette dimension joue beaucoup dans ma cuisine. Parfois, il y a des parfums assez forts, ou des odeurs de cire. Pour chaque pièce de la maison, il y a des odeurs différentes. Je suis également sensible à l’acoustique du lieu. Lorsqu’on parle, comme ici dans le restaurant, il y a une ambiance. Tout cela joue dans ma perception.
Geoffrey : Première étoile en 2017, Grand de demain par Gault&Millau, deuxième étoile en 2020. Au-delà de la troisième étoile, quels sont tes prochains challenges ?
Kazu : Toujours avancer et faire encore mieux qu’hier. Avant d’avoir les guides et les étoiles, il faut présenter quelque chose de parfait. Je sais pertinemment que ce n’est pas possible, mais je tends vers cela. Il y aura toujours des petits détails à corriger que ce soit dans la présentation, l’assaisonnement, la sensation au client…
Mais avant tout, je veux que les gens ressentent une émotion lorsqu’ils mangent au restaurant. Et si je donne le maximum, il y aura peut être une troisième étoile. Mais avant ça, il faudra que tout soit parfait et pour ça, il faut continuer à travailler.
Geoffrey : J’ai lu que tu aimerais avoir cette troisième étoile pour avoir accès des produits encore meilleurs.
Kazu. : Oui, de beaux produits. Lorsque je rencontre des fournisseurs pour leurs produits, les émotions arrivent très vite. Et ce sont ces émotions qui guident ma cuisine. Je limite au maximum mes interventions sur le produit. Juste le minimum. Lorsqu’un produit est beau, il faut éviter de le dénaturer, de la gâcher.
Il faut arriver à faire quelque chose de parfait avec ces produits. Et cela devient difficile lorsque les produits ne sont pas la hauteur de ce que l’on veut faire. Pour atteindre une perfection dans l’assiette, il faut chercher le meilleur. Et le meilleur pourra passer par cette nouvelle reconnaissance.
Geoffrey : J’ai lu que tu faisais ton service, tu courais après, petite nuit. Est-ce que tu as une routine au quotidien ?
Kazu : Il faut toujours se dépasser, à la fois physiquement et mentalement. C’est simple : il y a le corps qui tient et le mental. C’est une liaison. Quand on est jeune, le mental et la technique sont moyens mais le corps est encore jeune. Avec le temps, les niveaux s’équilibrent.
Chaque jours, après le service, je suis fatigué. Mais il me reste encore assez d’énergie pur aller courir encore une heure. Si le corps tient, cela veut dire que je peux encore faire un effort pour le restaurant.
Geoffrey : Tu veux toujours te donner au-delà des 100 % ?
Kazu : Toujours plus que 100 %. Le travail, c’est avant tout du mental. Il faut forcer tout le temps… Tous les jours, je me dis que je peux arriver à faire mieux.
Geoffrey : Est-ce que tu aurais un dernier mot à ajouter avant que l’on termine l’interview ?
Kazu : Qu’il faut continuer à faire des efforts pour progresser et continuer d’aimer les gens même si c’est compliqué. À chaque service, je me répète que les gens qui sont là sont importants pour leur donner le maximum. Je veux faire les choses en donnant le maximum de sentiments aux clients.