Comment le Coronavirus va t-il transformer l’économie de la filière Champagne ?

Paul Froissart en cuverie lors d'une dégustation - Agence Discovery

Depuis plusieurs années, le secteur du vin français connaît une succession de crises : subprimes, mouvement des gilets jaunes, mauvaises vendanges du aux aléas climatiques (gel et pourriture)… La filière Champagne, déjà fortement touchée, va devoir faire face aux répercussions économiques provoquées par la pandémie mondiale du Coronavirus. Dans ce contexte de crise internationale comment les marques de Champagne vont-elles réagir pour sauvegarder leur économie ?

Nous avons souhaité donner la parole à Paul Froissart du Champagne Lafalise-Froissart , vigneron à Verzenay.

Face à cette crise économique et sanitaire sans précédent, quelles sont les répercussions pour le Champagne Lafalise-Froissart ?

« Les répercussions sur mon exploitation sont directes. Vigneron depuis plus de dix ans, j’avais pris la décision de créer ma marque pour commercialiser mes bouteilles de champagne. Les débuts s’annonçaient prometteurs et j’avais déjà des commandes à honorer en avril. Malheureusement, les outils d’habillage et de production n’ont pu être livrés. Les commandes passées par les établissements français et étrangers ne pourront pas être honorées pour le moment puisqu’ils sont obligés de fermer. Pour certains d’entre eux, les commandes sont tout simplement annulées, ne sachant pas quand ils vont pouvoir redémarrer leur activité. Et surtout, s’ils vont pouvoir la redémarrer un jour, que ce soit en France ou au grand Export ».

Vignoble du Champagne lafalise Froissart
©Champagne Lafalise-Froissart – Parcelle de vigne en couvert végétal depuis deux ans.

Dans ce contexte, comment réussissez-vous à garder le lien avec votre clientèle professionnelle ?

« Essentiellement du téléphone. Il faut réussir à garder le lien avec eux, même vocal, faute de pouvoir conserver le lien physique. C’est surtout un lien de confiance mutuelle que l’on souhaite rappeler à nos partenaires. Avec la crise sanitaire et tout ce que cela implique, je cherche plutôt à prendre des nouvelles personnelles. Lors de nos discussions téléphoniques et visio, on cherche à se rassurer mutuellement et se dire que lorsqu’on pourra de nouveau faire du business, on en fera ».

"Je n'attends pas un plan d'aide économique spécifique à la filière Champagne".

Dans un communiqué de presse commun, Comité Champagne, Syndicat Général des Vignerons et Union des Maisons de Champagne rappelaient les mesures mises en place pour soutenir la filière Champagne : « […] Soutien des banques pour le paiement aux partenaires vignerons de l’échéance raisins du 5 juin, mise en place de dispositifs d’accompagnement des salariés, adaptation temporaire des dispositions conventionnelles applicables à la Champagne pour la gestion sociale et inédite de cette situation […] »

Au-delà de ces premières décisions, pensez-vous que le Gouvernement français pourra mettre en place un plan de soutien pour soutenir la filière Champagne et éviter une crise économique en plus de la crise sanitaire ?

« Je n’attends pas du gouvernement un plan d’aide économique spécifique à la filière Champagne. S’il y avait déjà un plan spécifique pour la filière vin française, cela serait déjà quelque chose d’exceptionnel. La première préoccupation que j’ai pour mon entreprise, ce sont les charges de mes salariés qui ne baissent pas, alors que mes ventes sont totalement à l’arrêt.

Aujourd’hui, on a des cotisations sociales absolument aberrantes pour les exploitants agricoles. On sait que les viticulteurs champenois sont déjà extrêmement taxés au quotidien. Il y a déjà un éventuel report de charges sur les salariés, ce qui n’est pas suffisant à mon goût. Il faudrait un allégement ou une annulation en cette période difficile. Non pas pour que l’employeur puisse se verser un meilleur salaire, mais pour espérer conserver les emplois au sein de nos entreprises de façon pérenne. Même mes salariés me demandent s’ils vont bien garder leur emploi dans les mois et les années à venir. Plus largement, il faudrait que nos dirigeants et les instances de la filière Champagne nous laissent plus de champs d’action au niveau de notre flexibilité d’emploi et de notre capacité à pouvoir embaucher des gens.

Pour répondre clairement à la question, disons que je suis réaliste et que je n’attends pas de mesures spécifiques de la part du Gouvernement. La filière champagne a toujours un retard à l’allumage sur un impact économique. Par rapport aux consommations, l’impact se fera sentir d’ici un an. On verra surtout les répercussions à la prochaine vendange ».

"Je crains que le tsunami économique champenois n'arrive à retardement"

Syndicat Général des Vignerons et Comité Champagne défendent les intérêts de la filière en France et à l’international. Dans ce contexte de crise, quelles sont vos attentes de la part de ces acteurs ?

« J’espère qu’ils communiqueront et feront passer les bons messages. S’il y a un discours à tenir aux professionnels du secteur, c’est que l’activité des viticulteurs continue. On est dans nos vignes, on est là pour préparer un beau millésime et pérenniser la qualité des champagnes. Et même si les distributeurs et revendeurs sont actuellement fermés, nous, on est toujours là et on sera là au moment de la reprise avec des produits qualitatifs. C’est ce genre de message qu’il faudrait communiquer aux professionnels en leur disant que notre travail ne s’est pas arrêté. On est toujours là ».

"Le rendement à l'hectare pourrait descendre à 8000 kg/ha à la vendange 2020"

Vignoble champenois
©Tous droits réservés – Vignoble Champenois

En 2018 et 2019, le rendement commercialisable à l’hectare était respectivement de 10 800 kg/ha et 10 200 kg/ha pour une appellation de plus de 34 000 hectares. Avec la baisse des ventes et les crises successives, de nombreux vignerons craignaient déjà de voir passer le rendement sous la barre symbolique des 10 000 kg/ha.

En tant que récoltant-manipulant, l’arrêt de la production et la baisse des ventes auront-elles des répercussions sur le rendement commercialisable à l’hectare pour la vendange 2020 ?

« Oui et des répercussions importantes. Avant le Coronavirus, on savait que le marché champenois était tendu et qu’une petite récession économique couvait. On pouvait s’attendre à 9 500 kg/ha. Après, tout ça reste des suppositions, rien n’est écrit. Mais avec une économie française arrêtée pendant deux mois et une économie mondiale qui va entrer dans une crise…

On peut avoir une vendange historiquement basse et retourner à des rendements de production très bas, de 8 000 kg/ha, voire moins. Il faut en avoir conscience. Si ce scénario se confirme, les répercussions sur mon exploitation seront simples. En qualité de vigneron, j’aurai moins de bouteille à commercialiser et, in fine, le risque de voir mon entreprise en danger. Si l’économie venait à reprendre, ce que nous souhaitons tous, j’aurai de toute façon moins de produit à proposer dans les années à venir. Mais il est encore trop tôt pour avoir des certitudes. Les instances champenoises sont bien évidemment à la réflexion sur ce point précis ».

Quels seraient les risques pour le marché champagne si les rendements étaient maintenus comme l’année précédente ?

« Le risque en lui-même ne serait pas immédiat pour le marché Champagne. On est sur des process de production assez long, entre 15 à 25 mois selon les opérateurs. Cela se ferait sentir bien plus tard avec un risque de saturer un marché plein d’incertitudes.

L’autre effet serait la mise en danger d’une filière qui est essentiellement basée sur l’achat de raisins. On aurait des opérateurs qui seraient obligés de prendre un approvisionnement ne correspondant pas à leurs ventes.  Et donc, une problématique de paiement à très court terme.

Le prix du kilo va-t-il être impacté suite à cette baisse de rendement ?

« J’aime à penser que cette baisse de rendement n’amènera pas une chute du cours de kilo de raisin. En revanche, il faut savoir que l’exception devient demain la norme. Demain, cette norme deviendra une moins-value. On est déjà à après-demain.

Je pense que l’exigence environnementale des acheteurs de raisins était déjà présente hier et le sera encore plus à la vendange 2020. Il n’y aurait pas de baisse intrinsèque du prix de raisin à très court terme, mais en revanche une exigence qualitative exemplaire. Ce qui sera un des leviers pour continuer l’essor de notre région viticole ».

Est-ce que cela permettra de valoriser les bouteilles de champagne ?

« Avec moins de produits commercialisables, la Champagne qui n’aura pas valorisé hier, aura des difficultés à valoriser demain. Pour le Champagne Lafalise-Froissart, on est davantage axé sur des vins parcellaires et précis. Sur un marché de niche avec des produits de prestige tant sur l’élaboration environnementale des raisins que sur la vinification des vins ».

"Rien n'est jamais acquis"

Bouteilles de champagne Viellard Millot - Agence Discovery
©Tous droits réservés – Bouteilles de Champagne

En tant que professionnel du secteur, quelles sont les opportunités et enseignements business que la filière Champagne peut tirer de cette crise internationale ?

« Il est encore trop tôt pour prendre pleinement conscience des éléments positifs. Les éléments négatifs vont seulement émerger dans les semaines à venir. Il faut se laisser encore un peu de temps avant de pouvoir tirer les premières conclusions.

Mais il faut garder en tête que rien n’est jamais acquis. On ne peut pas se reposer sur nos lauriers. On se doit de regarder devant pour anticiper. Après, il était impossible de prédire ce qui allait se passer aujourd’hui ».

La plupart des clients évitent les lieux publics, limitent leurs déplacements et préfèrent acheter en ligne. La conséquence directe est une augmentation de l’e-commerce et du Drive ces dernières semaines. Comment votre marque va t-elle s’adapter face à la révolution digitale qui s’annonce ?

« À court terme, il n’est pas prévu que je mette en place de stratégie digitale de ce type auprès du grand public. Par contre, accompagner les professionnels avec qui je travaille et qui seront amenés à le faire plus facilement, bien sûr. J’ai la volonté d’être plus à l’écoute des éventuelles opérations qu’ils seront prêts à me proposer, qu’ils soient en France ou à l’étranger.

Ça sera beaucoup plus facile pour une entreprise comme la mienne de participer à l’essor que les professionnels peuvent connaître plutôt que le mettre en place chez moi ».

Selon vous, les habitudes de consommation vont-elles évoluer à partir d’aujourd’hui ?

« Oui, à très court terme. Pendant six-huit mois, on pourrait avoir une consommation délocalisée avec de la vente à emporter ou des achats sur Internet. Mais à moyen terme, quinze à vingt mois, la consommation ne changera pas profondément dans les mœurs des consommateurs français et étrangers.

Les experts en vin sont extrêmement rares, même ceux qui avaient l’habitude de démarcher directement chez les vignerons. Le lien avec le caviste et le restaurateur est un lien très fort dans notre consommation d’alcool en France. Ce n’est pas ce type d’événement qui le changera. Je ne pense pas qu’on aura une évolution significative du commerce en ligne pour les vignerons.

Par contre, la logique de proximité dans l’alimentaire des Français peut évoluer. On va chercher des circuits plus courts, à se rapprocher davantage du producteur. Mais ça n’aura pas un effet absolument incroyable. En revanche, ce qui peut être intéressant, ce sont les cavistes avec qui je suis amené à travailler. Eux, vont peut-être développer plus facilement un site de vente en ligne, de réservation de produits de vignerons ou de précommandes. Mais pour moi, il n’y aura pas de changements fondamentaux chez le consommateur ».

Pour s'assurer de la trésorerie pendant le confinement, des entreprises et des commerçants mettent en place des « Paiements anticipés ». Que pensez-vous de ce genre d'initiatives ?

« Ces initiatives sont à encourager, notamment dans la filière agro-alimentaire, où le consommateur à un affect avec son producteur. En revanche, pour des produits de prestige que nous avons la chance d’élaborer au Champagne Lafalise-Froissart, cela me paraît complexe de le proposer. Cette pratique, déjà connue avec les primeurs dans d’autres régions viticoles, nous montre les fragilités de ce modèle économique.

Pour s'assurer de la trésorerie pendant le confinement, des entreprises et des commerçants mettent en place des « Paiements anticipés ». Que pensez-vous de ce genre d'initiatives ?

De nombreuses initiatives voient le jour dans la lutte contre le coronavirus. En soutien aux chercheurs et aux personnels soignants, domaines et entreprises du secteur viticole se mobilisent. De grandes Maisons de Champagne, telle que le Champagne Billecart-Salmon, participent à l’effort de « guerre ». La Maison familiale reverse 20 % HT du montant de ses commandes passées sur un important revendeur en ligne à la Fondation des Hôpitaux de Paris. Ces dons serviront à financer la livraison de repas et l’achat de biens de première nécessité. Pour d’autres, il s’agit de la mise à disposition de logement, de livraison de repas ou de journées de remise en forme.

Avez-vous eu l'envie d'apporter votre soutien dans la lutte contre le coronavirus ?

Don masque hopital Champagne lafalise Froissart
©Natanael Melchor – Salle d’opération

« Comme beaucoup d’autres, le Champagne Lafalise-Froissart a soutenu et continue de soutenir celles et ceux qui aident à combattre la maladie. Nous avons confectionné des blouses pour le personnel soignant du C.H.U de Reims et des masques pour les commerçants. Il s’agit plus d’un effort individuel qui ne mérite pas forcément une communication au vu du contexte de gravité ».

Pour soutenir les professionnels du C.H.U de Reims, écrivez un mail à covid.soutenir@chu-reims.fr

Interview réalisée avec Paul Froissart du Champagne Lafalise-Froissart

Récoltant-Manipulant à Verzenay
lafalisefroissart.com

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Geoffrey

Curieux de nature, je me définis comme un slasheur : entrepreneur/brand Manager/coach professionnel. Chaque mois, retrouvez mes articles sur la création de marque et le coaching.